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Menthe Froissée
Menthe Froissée
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30 août 2007

Du mensonge

On doit sûrement trouver en librairie des manuels du parfait menteur, au même titre qu’on voit des ouvrages pragmatiques aux titres alléchants: “comment se faire des amis”, “comment réussir sa vie” … “devenir riche” etc…

Voyons. Que pourrait-on y trouver?

En préambule, il me semble que le menteur chevronné ment en fait le moins possible, paradoxalement. Sans doute par prudence, car il n’est jamais à l’abri d’un frémissement ou d’une inflexion mal maîtrisés, ou pour éviter de se contredire plus tard ou d’être trahi par une incohérence dans le scénario.

Pour cela différentes tactiques me sont apparues à ce jour:

- éviter les sujets sensibles: ne pas les aborder, rester silencieux s’ils surgissent, ne pas bien entendre la question si l’on est sollicité et saisir le premier prétexte pour quitter la pièce.

- disparaître derrière un écran de fumée: ne jamais raconter sa journée, par exemple, ce qui masque tout creux dans un emploi du temps clandestin. Ou plus subtilement, débiter un feuilleton à sujet bien délimité épisode après épisode, jour après jour.

- cacher la forêt derrière un arbre: raconter, développer, broder une anecdote véridique avec un tel luxe de détails que l’interlocuteur finit par penser que l’épisode a occupé toute la période, ou en tout cas occulté le reste, tombé dans le désintérêt. Parfois c’est même lui qui, lassé, change de sujet (bingo!).

Mais on ne peut pas toujours esquiver la question gênante. Alors mentir il faut. C’est le moment de vérité, si j’ose dire: attention à ne pas se louper!

Cependant, au cas où on n’aurait pas été instantanément ou durablement cru, il est encore possible de lancer l’interlocuteur sur une fausse piste - puis de se montrer magnanime lors de sa déconfiture. L’art de la dénégation implique une gestion subtile de l’affectif, le nec plus ultra étant de faire culpabiliser l’autre en lui donnant honte de ses soupçons, et la preuve de succès, d’obtenir ses excuses. Ensuite le sujet devient généralement tabou, bénéfice supplémentaire.

Alors, vive le mensonge?

En fait, et toute considération morale mise à part, ce n’est pas si simple.

D’abord le menteur doit se surveiller sans cesse. Il s'oblige à parler lentement pour masquer les pauses de réflexion, ce qui provoque une certaine tension (y compris auprès des interlocuteurs, qui s’agacent). Plus généralement, cette vigilance étouffe la spontanéité dans une véritable mutilation de soi. Pour contrôler son apparence, on atténue ses sensations, on se ménage une distance permanente, on vit en différé, ce qui provoque une “perte de signal”. On devient moins accessible à l’autre, on s’en éloigne, on perd toute complicité.

Et en plus, pas moyen de se défaire d’un malaise latent à duper ses proches, mêlé à un soulagement lâche quand on se tire d’un mauvais pas. Rien à faire, il y a un manque de respect dans la tromperie, qui s’accommode mal de l’affection.

L'interlocuteur n'est pas forcément dupe, d'ailleurs... Peut-être entretient-il des doutes, peut-être a-t-il deviné.  Et contre toute attente, quand l’intime conviction, le for intérieur  l’emportent sur les dénégations du menteur, il choisit parfois de se taire plutôt que de le confondre. Surprenant?  Mais à quoi bon la vérité si le combat pour l’établir humilie celui qu’on aime? Pourquoi imposer le réel quand c’est le mensonge qui blesse, qui exclut, plus que le secret en soi?

Et puis il n'est jamais vraiment certain, et doute de lui-même aussi: a-t-il perdu la juste mesure des événements? Devient-il un odieux personnage soupçonneux et méfiant, incapable de goûter la simplicité de l’échange sans en scruter l’ombre?

Dans les deux cas, il est dévalorisé à ses propres yeux: pauvre poire ou paranoiaque...

Dans ce brouillard, la relation prend un goût amer. Petit à petit les paroles passent pour des outils habilement maniés pour servir un objectif, plus que les vecteurs d’une pensée spontanée. Le plaisir du dialogue disparaît.

Le soupçon, comme le mensonge, gâtent ce qu’ils touchent.

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