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Menthe Froissée
Menthe Froissée
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16 juillet 2008

La tonnelle

Je suis allée dans « le haut du jardin », aussi appelé « le champ », séparée du « jardin » par un muret en pierre blonde, d’environ un mètre cinquante de haut. On communique de l’un à l’autre par une grille en bois dont les lattes figurent des rayons de soleil. Maintenant la peinture est écaillée, les vis ont rouillé, les gonds ont du jeu, et il faut soulever le cadre pour débloquer le battant enfoncé dans les graviers.

Dans le champ, mon grand-père cultivait des pommes de terre, et des arbres fruitiers. Un vaste bigarreautier à droite, et du côté gauche de l’allée centrale, des cerisiers aigres et des mirabelliers en remontant vers la tonnelle. La terre, plutôt ocre, y était sans doute moins riche que dans le jardin potager du bas.

Contre toute attente, je me rappelle bien ce qui poussait dans le jardin : à droite, carottes, persil (ne pas confondre avec les fanes au moment d'en ramener pour les flageolets ou la vinaigrette de la tête de veau), ciboulettes, oignons, salades, haricots verts, fraisiers. Deux grands poiriers (poires "curé", appelées ainsi parce qu'on les trouvait dans les jardins de curés... Chez le marchand d'aujourd'hui, ce sont des poires "conférence") placés de part de d’autre de l’allée étaient reliés par une poutre où était accrochée la balançoire. De l’autre côté en partant du bas radis, artichauts et leurs fleurs d'une sophistication déplacée dans un potager avec leurs aigrettes mauves.

Et tout un carré consacré aux asperges: la terre y était soigneusement bêchée en ménageant des ondulations régulières avec une alternance de rangées rectilignes, vallées en creux et monticules arrondis. Un instrument était fiché en terre dans un angle du carré : une tige longue en métal, terminée par un anneau soudé. L’idée était d’enfiler l’anneau autour de la tête de l’asperge, bonne à arracher quand sa pointe mauve affleurait le sol, enfoncer délicatement l’outil en suivant la racine, puis, à une profondeur jugée suffisante, incliner l’outil pour briser net l’asperge avant de la remonter avec précaution. Avoir le droit d’officier était évidemment une marque de confiance.

Dans le jardin, la terre d'un beau brun presque luisant lorsqu'elle venait d'être retournée est maintenant inerte, grise et poussiéreuse, sans doute saturée d'un désherbant qui a tué les moindres herbes folles. Evidemment la poutre de la balançoire est vermoulue et on n'y accroche plus rien. Il reste cependant celle qui tient aux deux cèdres qui flanquent le bas de l'allée, toute entortillée contre un tronc pour laisser le passage.

Mais pour en revenir à la tonnelle, elle se situait au bout du haut du champ. Il s'agissait d'un cercle presque complet de charmes noueux, ouvert simplement au niveau de l'allée, dont les branches entrelacées formaient un dome. J'y jouais surtout à partir du printemps, quand les feuilles formaient une couverture m'y protégant de la vue.

A priori c'était plutôt un endroit risqué parce qu'en son centre était creusé un puits - un large trou recouvert d'une plaque de bois épais que mon grand-père écartait pour pomper l'eau d'une nappe souterraine quand il arrosait le jardin. Mais on m'estimait "raisonnable", et j'évitais effectivement de marcher dessus.

Ce lieu favori, mon grand-père l'appelait "le palais des fées" devant les visiteurs pour expliquer que c'était mon terrain de jeu. J'étais toujours un peu gênée, comme si on dévoilait mes secrets de petite fille et je devait sûrement me forcer à sourire tout en rougissant avant de m'éclipser. Effectivement, je n'avais pas envie de me raconter et je craignais surtout que l'on me demande des détails parce que que ma spécialité, c'était plutôt de grimper aux arbres et de faire le tour de la tonnelle sans mettre pied à terre en me prenant pour une espionne. Il n'y avait malheureusement jamais grand-chose à surprendre et comme j'étais plutôt habillée de rose vichy ou de turquoise je ne crois pas qu'on m'aurait confondue avec un écureuil. Mais je n'aurais pas supporté le moindre sourire à ce sujet, même indulgent.

La tonnelle existe toujours, mais entièrement recouverte de lierre, maintenant, et curieusement taillée comme un massif de jardin à la française, avec des angles droits. Elle qui était toute en rondeurs... C'est surprenant, mais ne me déplaît pas. Elle continue à vivre.

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